“To accomplish great things, we must not only act, but also dream; not only plan, but also believe.” Anatole France
En 1995, François & Isabelle ont appris que leur fils, Adrien était atteint d’un handicap. Ce jour-là, François s’est juré de réaliser un jour ce grand rêve, d’amener Adrien sur les traces de ses aïeuls en Antarctique. Ce rêve s’est réalisé en 2016, Adrien nous raconte cet incroyable voyage familial sur les traces de la « Belgica », le premier bateau et les premiers hommes qui hivernèrent en Antarctique, de 1897 à 1899.
Janvier 2016
Je m’appelle Adrien et j’ai 21 ans. Je suis né avec un handicap. À ma naissance, mon père s’est juré qu’un jour j’irais moi aussi en Antarctique sur les traces de mes ancêtres. En fait, je suis né dans une famille de fous… Ils vont tous dans les régions polaires, là ou les températures sont extrêmes !!! Ils disent qu’il y a moins de monde là bas qu’à la « Costa del Sol ».
Voici un récit de mon voyage extraordinaire au bout du monde avec ma soeur jumelle Emilie, mon père François et mon ami, Marc. Un rêve qui s’est réalisé pour mon père et une experience hors-du-commun pour moi.
Premièrement un petit retour en arrière s’impose pour l’histoire de ma famille de fous !
Tout a commencé avec mon arrière-grand-père, Adrien qui était un marin et qui un
beau jour s’est mis dans la tête de monter une expédition en Antarctique. Avec son navire « La Belgica » il est resté prisonnier des glaces pendant 15 mois, réalisant par la même occasion avec son équipage le tout premier hivernage de l’histoire sur le continent blanc… époque héroïque de ces premiers explorateurs qui à la découverte de régions inconnues non encore cartographiés mirent leur vie en péril pour leur pays et leur Roi. L’expédition de la Belgica n’a plus donné signe de vie durant 2 ans et demi et ce n’est qu’à leur retour que le télégraphe fut inventé et qu’ils ont pu dire à leurs proches qu’ils étaient vivants. C’était en 1897-1899 ! 60 ans plus tard mon Grand-Père Gaston décide à son tour de monter une expédition en 1957 dans le cadre de l’année Géophysique Internationale. Avec ses compagnons, ils vont construire la Base Roi Baudouin, disparue aujourd’hui et remplacé par la Base Princesse Elisabeth. Enfin mon père François, fou lui aussi, part avec des Anglais en 1984 sur l’Ile Brabant où ils vont hiverner 9 mois sous tente !
En fait mon arrière-grand-père, grand-père et père sont des hivernants ; tous les autres de ma famille sont des touristes, comme moi, à l’occasion de ce voyage que je viens de faire et que je vais vous raconter en quelques lignes !
Janvier 2016, Le départ approche !
Mon père est très nerveux car il dit que de partir avec moi en Antarctique, est un challenge qui ne sera pas facile. Il sait pourtant que je suis un optimiste de nature et que j’aime la vie mais malgré tout il est inquiet… Comment vais-je supporter le long vol vers l’Argentine et Ushuaia ? Vais-je avoir le mal de mer dans le Passage de Drake (Ce qu’on appelle les 40ième Rugissants, là ou le Pacifique et l’Atlantique croisent leurs eaux) ? Comment vais-je faire pour effectuer les débarquements en zodiac lorsque nous serons en Antarctique ? Autant de questions, autant de doutes pour mon père !
Les bagages sont prêts, Maman nous dépose à l’aéroport de Bruxelles le 26 janvier 2016 où nous retrouvons nos compagnons de voyage dont le Parrain d’Emilie, Marc qui a décidé il y a quelques mois de partir avec nous afin de se rendre compte sur place ce qui attire toute ma famille en ce bout du monde ! Cela rassure mon père d’avoir ma sœur Emilie et Marc avec nous pour cette croisière touristique sur les traces de la Belgica. Nous retrouvons aussi Annick, la responsable de l’agence de voyage Brugeoise « Asteria » qui est depuis de nombreuses années, est la référence en Belgique pour l’organisation de voyages vers des destinations lointaines et hors du commun, ainsi que Jozef Verlinden, le biographe de mon arrière-grand-père. Lui il sait tout, mais vraiment tout sur l’expédition de la Belgica !!! De plus, nous avons la chance d’avoir Dixie Danscercoer*, aventurier et explorateur polaire des temps modernes, ainsi que son épouse Julie, parmi nous.
Vol Bruxelles-Madrid, escale, vol Madrid-Buenos Aires où j’ai de la chance car lors de ce long vol j’ai 4 sièges pour moi et je peux donc m’étendre de tout mon long pour dormir. À Buenos Aires escale de quelques heures car nous devons changer d’aéroport pour prendre notre prochain vol pour Ushuaia en fin d’après-midi. Cela nous donne l’occasion de visiter trop rapidement la ville verte de Buenos Aires et au restaurant d’avoir un excellent steak Argentin sous la dent ! Enfin Buenos Aires-Ushuaia ou « el Fin del Mundo » qui nous accueille par une température très douce et agréable. Nous y logeons une nuit dans le magnifique hôtel « Arakur » sur les hauteurs d’où nous dominons toute la ville et le fameux canal de Beagle qui sépare l’Argentine du Chili. Après une excellente nuit, nous visitons la ville d’Ushuaia, lieu de départ des croisières vers l’Antarctique mais aussi des nombreux randonneurs venus du monde entier pour fouler la splendide Patagonie.
Avant de monter abord de notre navire « Le Sea Spirit » nous avons une petite cérémonie officielle en présence des autorités d’Ushuaia autour de la statue de mon arrière-grand-père, Adrien. Quel honneur qu’il soit là au bout du monde et je suis très ému de m’y retrouver avec Emilie et Papa ; celui-ci prononcera d’ailleurs un discours en anglais disant entre autres choses qu’il est fier et particulièrement ému de m’avoir a ses côtés et cela me touche… Les larmes ne sont pas loin mais je me retiens car dans ma famille polaire on ne pleure pas ou du moins on essaye ! La cérémonie étant finie, on va visiter le museo maritimo où une partie est consacrée à l’expédition de la Belgica. Le directeur, Carlos Vairo que papa connaît très bien nous y reçoit avec beaucoup de gentillesse. En fin de journée nous embarquons sur le « Sea Spirit ». Le grand départ approche pour du bon, on y est à ce jour tant attendu et promis depuis si longtemps !!! QUE L’AVENTURE COMMENCE !
On nous installe dans notre cabine que nous allons partager à trois, Magnifique ! On dirait une chambre d’hôtel grand luxe tellement elle est spacieuse et confortable. À bord, il y a un ascenseur qui va grandement faciliter mes déplacements d’un Deck à l’autre. L’équipage de différentes nationalités nous accueille avec beaucoup de gentillesse et d’enthousiasme. Le Capitaine Oleg est Ukrainien et le chef de l’expédition Jonathan est Français ; c’est lui qui est en charge de l’organisation des débarquements en zodiac lorsque nous serons en Antarctique… très sympa, le courant passe très vite entre nous ! Enfin, il y a l’Allemand Yan qui est le vice-président de la compagnie qui possède le navire et qui avec toute son équipe est là pour nous assurer le meilleur confort possible durant la croisière. Le navire lâche les encres et au son de sa corne de baume, nous quittons le quai et voyons la ville d’Ushuaia disparaître doucement…
Plusieurs heures de navigation sont nécessaires à travers le Canal de Beagle pour rejoindre le Cap Horn et amorcer la traversée du Drake qui hante toujours les esprits quand à savoir si cela va secouer ou pas… Heureusement, Le Capitaine nous annonce une traversée assez calme avec 4-5 Beaufort, ce qui est relax ! La vie à bord s’organise et nous assistons en haute mer à diverses conférences données par des spécialistes sur les explorateurs d’autrefois, les mammifères marins, les manchots, les différents oiseaux que nous allons rencontrer et bien sur, on n’y échappe pas, sur le réchauffement climatique et son impact dans les régions polaires. L’impact est moins radical en Antarctique qu’en Arctique !!
Premiers Icebergs en vue ! Nous approchons après 2 jours de haute mer et bientôt nous apercevons les premières iles subantarctiques que sont les Shetland du Sud. Tout le monde est sur les ponts pour admirer ces paysages grandioses.
Le premier débarquement est prévu pour ce soir mais pas pour moi car les conditions ne sont pas optimales… Pas grave, je reste à bord avec papa et nous observons tout ce remue-ménage de zodiacs avec intérêt. Je suis sur que mon tour viendra, si ce n’est pas demain, ce sera après-demain ! Wait and See !!! Le restaurant du navire est excellent et je me fais plein de copains et copines parmi l’équipage. On rigole bien avec Emilie ainsi que Marc, qui est un excellent compagnon de voyage. Il y a parmi les passagers Charlotte et son mari Olivier avec leurs deux fils, Gilles et Hughes qui deviennent vite des amis pour Emilie et moi. Charlotte est l’arrière-petite-fille de Georges Lecointe qui était le commandant en second de l’expédition de la Belgica.
Le premier février, ca y est, on prépare mon premier débarquement sur l’ile Danco. Je suis prêt et impatient de me retrouver au Pays des Manchots ! Quel bazar pour m’embarquer dans un zodiac. Je passe de ma chaise roulante à une espèce de chaise porteuse pour me retrouver sur une autre chaise roulante bien arrimée dans le zodiac. Le tout est d’avoir des gens compétents autour de soi, qui ont des gestes précis afin de ne pas me retrouver dans l’eau glaciale à 0°C…Brrrbrrrr, à cette température là, on ne tiendrait pas longtemps ! Ce premier débarquement se passe à merveille et je suis fier de poser entre mon père et ma sœur par un temps splendide entouré de quelques manchots papous curieux, qui nous observent en se demandant ce que nous faisons chez eux !!!
Les débarquements en zodiac se font à un rythme de deux par jour pour les passagers; je ne les fais pas tous car certains endroits sont difficiles d’accès pour ma chaise roulante. Par contre j’aurais la chance de faire plus souvent du zodiac et par la même occasion d’observer les baleines de très près ! Un jour, il y en a une qui a plongé à la vue du zodiac et est ressortie très vite de l’autre côté. Notre zodiac driver Canadien « Flipper » en a eu des sueurs froides, car une sortie mal calculée de la baleine nous aurait projetée dans les airs… C’était un spectacle fabuleux et inoubliable pour nous tous présents dans ce zodiac !
Belle visite également à une base Anglaise « Port Locroy » où quelques scientifiques y séjournent durant l’été Antarctique (novembre-février). Il y a là une importante colonie de manchots que je peux observer de très près et également un bureau de poste où les touristes peuvent affranchir leurs cartes postales, ce que nous faisons aussi pour notre famille. Les touristes ont effectué une douzaine de débarquements et j’ai pu en effectuer la moitie, ce qui est déjà fantastique ! Emilie et Marc ont fait du kayak entre les icebergs et ont également eu la chance de passer une nuit à la belle étoile en creusant un trou dans la neige pour s’abriter du vent. Le navire s’est éloigné les laissant seuls « dans le silence entendant le silence » parfois perturbé par les chutes de blocs de glace des glaciers environnants ! Ils sont remontés à bord le lendemain ravis de cette expérience unique ! Dans le détroit de mon arrière-grand-père, le « Détroit de Gerlache », le Capitaine Oleg me permet de m’asseoir au bridge dans son fauteuil où j’ai une vue ‘first class’ sur cet environnement exceptionnel. C’est le plus beau coucher de soleil de ma vie. Nous naviguons au large des îles Anvers, Brabant, Liège et Gand. Mon père me montre les « Monts Solvay » sur l’île Brabant où il a hiverné et me raconte qu’Ernest Solvay fût un des grands mécènes de l’expédition de la Belgica en 1897.
Toute bonne chose à une fin et voilà déjà que nous naviguons vers le Nord et après avoir visité une base Polonaise sur l’île du Roi Georges nous nous retrouvons de nouveau dans le passage de Drake avec du 7-8 Beaufort ! Aille, ca bouge sérieusement plus mais contrairement à mes compagnons de cabine (Papa et Emilie) je ne ressens aucun mal de mer ! Ai-je le pied marin ? Normal, je tiens cela de mon aïeul Adrien 😉 ! Relax, je rigole de voir les autres avoir du mal à se déplacer, les chaises glisser au restaurant et la vaisselle se casser. Après 2 jours de haute mer mouvementée nous voilà de retour dans ce merveilleux canal de Beagle tout calme où les dauphins se donnent à cœur joie de suivre le navire.
C’est notre dernière soirée à bord et j’organise un dîner officiel où j’invite 13 personnes à ma table. C’est avec émotion que je prends la parole pour remercier tout le monde de m’avoir permis de vivre cette expérience unique et je dis pour terminer « Maintenant, l’Antarctique c’est fait, en avant la musique pour l’Arctique ! »Tout le monde rigole de ma déclaration mais je suis sérieux, je pense vraiment de pouvoir aller un jour au pays des eskimos et des derniers ours blancs ! Maintenant, je fais aussi parti de cette famille de fous !!!
Lors de la soirée d’adieu de l’équipage, Annick, la responsable d’Asteria, me remet officiellement le drapeau Belge « Sur les traces de la Belgica ». Je suis très touché de cette attention et me redresse fièrement dans ma chaise en le recevant sous les applaudissements de tout le navire ! Nous accostons à Ushuaia où après une dernière nuit à l’encre dans le Beagle, nous quittons avec une certaine nostalgie l’équipage du Sea Spirit. De grands et émouvants adieux avant de reprendre l’avion pour Buenos Aires – Madrid – Bruxelles. L’avion est complet de chez complet et le retour sera plus difficile, mais ma tête remplie de merveilleux souvenirs m’aidera à tenir le coup durant les 26 heures jusqu’à Bruxelles. Maman nous attend heureuse de revoir sa petite famille en pleine forme après 15 jours d’absence.
Merci ma chère sœur Emilie d’avoir été là pour aider Papa lors des moments difficiles, Merci à toi Marc de m’avoir fait tant rire avec ta bonne humeur légendaire et pour tes nombreux coups de main !!
Enfin, Merci à toi Papou que ton rêve vieux de 21 ans se soit réalisé. En plus de tout cela, cela nous aura fait du bien à tous les deux et cela nous aura aussi permis de voir le handicap différemment !!
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